Les stéréotypes ancrés dans l’imaginaire collectif mènent à des contrôles de police abusifs
A l’occasion de la Journée de l’insurrection gitane, Nara Ritz dénonce les contrôles au faciès et violences policières subis par les voyageurs français et un cadre législatif et politique lui-même violent.
En tant que Manouche Sinto et voyageur français, j’ai grandi, comme beaucoup d’entre nous, avec les forces de l’ordre. Jusqu’à il y a peu de temps, c’était aux forces de l’ordre qu’il fallait se présenter entre tous les 3 mois ou tous les 3 ans pour faire pointer son carnet de circulation, notre « passeport voyageur ». C’est la police ou la gendarmerie qui vient nous accueillir dès que nous arrivons sur une aire « d’accueil » ou tout autre lieu de stationnement.
En France, depuis la loi antiterrorisme d’octobre 2017, il y a une réelle augmentation des abus de pouvoir de représentants de l’ordre contre toutes les populations. Bien que la justice ait condamné l’Etat Français pour “faute lourde” dans des cas de “contrôles au faciès”, que des policiers aient été condamnés en mars 2018, et que le Défenseur des Droits se soit positionné, peu de choses ont évolué.
Les voyageurs subissent des contrôles au faciès et abusifs, ces contrôles humiliants et discriminatoires qui ciblent certains citoyens considérés comme suspects, indésirables ou étrangers sur la seule base de leur apparence physique ou de leur origine supposée. Les voyageurs sont aussi ciblés à travers leurs modes de vie, d’habitat, leurs langues, manière de parler, leur nom de famille, etc.
Il n’y a pas de violence policière sans violence politique
Que l’on roule ou soit en arrêt, le camion et la caravane nous signalent d’abord comme des individus à contrôler. Et quand nous sommes contrôlés, peuvent se rajouter des discriminations liées à notre langue, notre manière de parler, notre nom qui peut renvoyer à nos origines Manouche, Rom, Gitan etc.
Les traitements abusifs et dégradants sont basés sur des stéréotypes racistes selon lesquels tous les voyageurs sont des bandits (ce qui justifierait que les contrôles sont toujours nécessaires), qu’ils sont tous les mêmes (raison pour laquelle on ne contrôle pas « un » voyageur mais tout le groupe présent) et aussi qu’ils sont tous dangereux (donc, les actions de police sont démesurées).
Les contrôles sont effectués sans présenter de raison hormis que nous sommes voyageurs, avec des agents équipés pour des interventions de grand banditisme, entre 20 et 100 policiers, surarmés, cagoulés (mitraillettes, camion béliers, chars, hélicoptères). Nous sommes contrôlés dès 6h du matin. On ordonne parfois aux femmes, enfants et hommes de sortir dehors (alors qu’ils sont en train de dormir, ils doivent sortir dans le froid et la nuit, parfois alors qu’ils sont encore nus). On fouille les caravanes « parce qu’elles pourraient cacher une bombe » et on nous demande de partir tout de suite parce que l’on nous accuse d’occuper les lieux illégalement.
La surveillance est monnaie courante. Les véhicules de police rentrent sur les terrains et prennent tous les jours les numéros de plaques d’immatriculation des véhicules et caravanes; les contrôles d’identités sont quotidiens à la sortie des terrains.
Les interpellations suivent le même type de procédé, qu’elles soient pour des faits graves ou pas. La police fouille toutes les caravanes sans discernement pour chercher un voyageur. On interpelle le groupe automatiquement et dégrade les biens. Les coups et blessures sont fréquents, sans possibilité de porter plainte. Des cas d’homicide de personnes ont été rapportés, comme celui d’Angelo Garand qui le 30 mars 2017 est venu s’ajouter à la liste des gens du voyage tués par les gendarmes, rejoignant Luigi Duquenet ou Joseph Guerdner.
La mécanique de harcèlement et de pression se manifeste par exemple par des contrôles routier constants sur un même trajet (une année pour aller au pèlerinage annuel des Voyageurs aux Saintes-Maries-de-la-Mer, nous avons subi dix-neuf contrôles de police. Les agents nous attendaient de commune en commune). Certaines personnes sont contrôlées tous les jours par les mêmes agents et les insultes racistes sont fréquentes. La multiplication de ces humiliations conduit à des réactions de colère, à des insultes, voire à des réflexes de fuite, qui nous rendront de toute manière coupable.
Ces violences policières sont possibles parce que le cadre législatif et politique lui-même est violent. Les discriminations structurelles sont le fait du non respect de la loi qui oblige à aménager des terrains dignes pour les voyageurs par exemple. Par ailleurs les lois peuvent être excluantes, en nous assignant à stationner dans des lieux et villes spécifiques. Les décideurs et élus ferment les yeux sur les maltraitances et violences sans les dénoncer ni les condamner et cultivent parfois eux-mêmes les stéréotypes et discriminations concernant les voyageurs.
Nous demandons aux institutions de l’Union européenne d’user de leurs pouvoirs de coopération et d’échanges de bonnes pratiques, pour éliminer ces pratiques discriminatoires et illégales.
Nara Ritz est Manouche Sinto et voyageur français, et Membre de l’Observatoire National des Droits des Citoyens Itinérants et du Collectif National des Associations des Citoyens Itinérants.